Avec l’exposition Le mouvement qu’elle organise à Paris avec Vasarely, Calder, Duchamp, Tinguely, Jacobsen, Agam, Bury, et Soto la galerie denise rené pose en 1955 l’acte fondateur de l’art cinétique, en réactivant un courant artistique né au début du siècle des tendances constructivistes de l’abstraction géométrique.
A travers plusieurs générations d’artistes, les développements créatifs de cette «nouvelle beauté mouvante et émouvante» se sont épanouis sur la scène internationale, en un courant ininterrompu jusqu’à aujourd’hui, s’enrichissant continuellement des nouvelles avancées de la science et de la technologie, s’emparant des possibilités offertes par les matériaux et les moyens de diffusion les plus récemment inventés.
En présentant dans l’exposition Art cinétique - numérique un choix d’œuvres produites aujourd’hui tant par de jeunes artistes que par la génération des plasticiens qui, ayant commencé leurs recherches dans les années 1950 et 1960, continuent à créer en s’appropriant désormais les technologies les plus contemporaines, la galerie souhaitait montrer de quelles manières les outils technologiques actuels, informatiques ou numériques, sont utilisés pour renouveler l’expression d’un courant artistique qui n’a cessé de se nourrir des avancées technologiques.
Cette esthétique du mouvement a en effet inventé pour l’abstraction un nouveau langage créatif étroitement lié aux découvertes de la science, où l’utilisation d’éléments physiques et de formes géométriques génère des phénomènes optiques jouant sur l’instabilité du réel et renouvelant la perception de l’espace par le spectateur :
Mouvement virtuel suggéré par les ambivalences de la perception rétinienne où l’opposition du noir et du blanc, les trames ou les grilles, les effets de moirage induits par la superposition provoquent des phénomènes de persistance ou de vibration donnant l’illusion d’un déplacement dans l’espace,
Mouvement impalpable engendré par le souffle de l’air qui suffit à transformer les œuvres en mobiles aux agencements sans cesse renouvelés,
Mouvement mécanique généré par le déplacement manuel ou motorisé des éléments géométriques d’une œuvre ainsi métamorphosée et recréée à l’infini,
Mouvement produit par le surgissement, l’absence, l’intermittence ou l’intensité de la lumière qui modifie la perception et la relation à l’espace, et sera dans les années 1960 une source inépuisable d’inspiration pour la génération des créateurs du lumino-cinétisme,
Mouvement mis en scène par le seul déplacement du spectateur ou son intervention sur l’œuvre,
Mouvement modifiant l’œuvre par l’interaction cybernétique des variations de son environnement, …
La permanence de ces pistes de recherches est manifeste dans les pièces présentées dans l’exposition .
Agam poursuit son travail présenté en 1955 à la galerie de tableau transformable au travers de ses œuvres interactives proposant au visiteur de s’investir physiquement dans son dispositif. En déplaçant les éléments présents sur l’écran, le public est invité à faire évoluer l’organisation spatiale d’un ensemble de formes et couleurs défini par l’artiste.
La recherche chromatique des Chromo interférences crées par Carlos Cruz Diez pourrait s’incarner aujourd’hui dans les mutations de l’environnement m0za1que du groupe Lab[au]. Aux déplacements de trame de Cruz Diez correspondraient les jeux de dalles se détachant dans la lumière du mur conçu par les Lab[au], les deux œuvres générant une sensation d’immatérialité, de transfiguration et d’ambiguïté de la couleur à travers le mouvement.
Une filiation pourrait, de même s’établir, sur l’utilisation de la lumière dans la perception de la forme, entre la série Continuel Mobiles Lumières de Julio Le Parc et le nouveau dispositif lumineux contemplatif Composition rouge de Santiago Torres dont l’œuvre, conçue à partir d’un matériau innovant, révèle un imprévisible jeu d’ombres et lumière, une recherche de matérialité et de démultiplication générant des illusions optiques.
Ces jeux perceptifs se traduisent aussi par des réalisations où les outils numériques définissent pour le spectateur une nouvelle palette de possibilités d’intervention. Expérience Chromatique Aléatoire Interactive de Carlos Cruz Diez est un programme informatique où l’artiste invite l’utilisateur à disposer de son langage plastique pour réaliser des compositions de formes et d’harmonies de couleur.
Dans un dialogue sophistiqué entre préoccupations esthétiques et algorithmes mathématiques qui reconsidère l’espace et les effets de perspective, Élias Crespin génère, avec Circuconcentricos Blanco y Rojo et Tapiz Doble, des architectures tridimensionnelles dont les mouvements contrôlés par ordinateurs jouent sur la transparence et la fluidité immatérielle.
Une certaine dimension sonore caractérise, à l’inverse, la pièce 121 prepared dc motors, tension springs 35 mn de l’artiste suisse Zimoun dont l’œuvre, intègre toujours objets industriels courants et mécanismes préparés pour traduire la notion de mouvement.
Le même écho sonore se retrouve dans Moving objects n° 807 et New ring work de Pe Lang, combinaisons chaotiques de cordes ou d’anneaux soumis à la rigueur confusionnelle de forces contradictoires. Les éléments matériels sont simples, sobrement motorisés, mais ils dissimulent une réflexion mathématique où l’utilisation d’algorithmes vient générer puis perturber des motifs aléatoires.
C’est également un principe génératif dont les Lab[au] disposent pour les mutations imposées aux flux de particules et de pixels de leur sculpture-écran Particle springs, où s’organisent perpétuellement de nouvelles formes abstraites.
Ces pièces pour exprimer l'idée-forte de l'exposition : témoigner de la volonté toujours intacte de créer, avec le support des outils technologiques les plus avancés, des œuvres qui continuent d'interroger à la fois l’expérience visuelle et le rapport du spectateur à l’espace, invariables épicentres de l’art cinétique.